Aprés la technique et les jeux, la simulation à base de réalité virtuelle gagne l'art...
Voici Osmose, une saisissante invitation au rêve. Entretien avec l'artiste.

Sciences et Avenir: Les expériences les plus connues, de réalité virtuelle, avec casque et gants, sont celles de la simulation de pilotage d'avion, d'opérations chirurgicales ou de jeux. Quelle est l'originalité d'Osmose?

Char Davies, Arbre, Osmose, 1995.
Arbre
photographie en temps réel tirée d'Osmose (1995)

Char Davies: La première difference est esthétique. J'utilise un logiciel 3D pour créer des formes transparentes qui constituent la trame des mondes dans lesquels les gens s'immergent. J'ai pratiqué la plongée en eau profonde où il n'y a plus ni poisson ni corail, rien qu'un espace sans référence à un «intérieur» ou à un «extérieur». J'étais fascinée.

A un moment, j'ai entraperçu un petit spectre de lumière, mais je ne pouvais pas savoir si c'était un grand, polsson vu de trés loin, une petite méduse ou un phosphène sur ma rétine... Cela m'a beaucoup influencée. Les «choses» qui peuplent les mondes d'Osmose sont plus des archétypes que des «objets» au sens classique. Ainsi, on peut voir une forêt dans toutes ses dimensions, par en dessous, par dessus, et découvrir ce que l'on oublie souvent: tout ce qui est enfoui dans le sol.

Parfois, certaines parties sont au premier plan alors qu'elles ne le devraient pas, cassant ainsi l'espace cartésien. Ces trames constituent une sorte de gestalt, qui stimule le cerveau, comme un système de Rorschach en 3D, en moins abstrait. C'est-à-dire des formes qui permettent de projeter les images que l'on porte en soi. Je n'ai pas voulu un monde de couleurs brillantes et primaires, mais subtiles, en dégradé, comme dans un rêve.

De quels types de monde s'agit-il?

ll y a une clairière, une forêt, un étang qui donne surun abysse, et un monde souterrain symbolique qui donne sur un univers plus conceptuel, avec des textes de Bachelard, Rilke, Heiddeger, ou des phrases sur la nature, le corps, la technologie...

Et la deuxième différence...

C'est le mode d'interaction. ll y a deux possibilités pour se «déplacer»: d'une part en fonction de la respiration, d'autre part à partir de mouvements subtils de la tête, grâce à des capteurs situés sur la cage thoracique et sur le casque. Les mouvements doivent être doux et lents. Quand la personne inspire, elle s'élève et lorsqu'elle expire, elle redescend, comme dans la plongée sous-marine. Cette méthode d'interaction agit plus comme un canal de communication que comme un outil de commande. Le son, «samplé» à partir de voix mâles et femelles, est interactif en temps réel et spatialisé en 3 D. L'immersion dure en moyenne 17 minutes.


Le temps s'y écoule différemment?

Oui. Ceux qui sont restés immergés 40 minutes ont l'impression d'y avoir passé 10 minutes. Nous avons noté, après les phases d'immersion, des changement psychiques importants. Un psychologue a étudié les récits des voyageurs virtuels. Certains perdent leur langage rationnel, et remettent en question leurs référents logiques. Il n'y a pas de détecteur de collision dans ce monde, on peut donc passer au travers de la matière comme un esprit. Les gens vivent bizarrement le paradoxe d'être à la fois dans leur corps, avec pour référence leur respiration, et d'être désincamés.


Pourquoi avez-vous créé Osmose?

D'abord comme expression de ma vision artistique, motivée par le désir de soigier la cassure cartésienne entre le corps et l'esprit, entre le sujet et l'objet. Ensuite pour démontrer que la technologie est capable de faire bien plus que ce que les gens imaginent, L'immersion y est délibérément solitaire, comme contre point à la mise en réseau de notre technoculture.

Vous avez des expériences scientifiques en tête?

Oui. Je voudrais que des chercheurs puissent voir ce qui se passe du point de vue électroencéphalographique et des états modifiés de conscience. Les psychiatres pourraient s'en servir dans un but thérapeutique.

Char Davles

Au départ, dans les années 80, Char Davies, peintre et réalisatrice de cinéma née à Toronto (Canada), s'intéressait au potentiel artistique des images informatiques en trois dimensions. Elle rejoint en l987, en tant que directrice de la recherche en effets spéciaux, la société Softimage, qui fusionnera en 1994 avec Microsoft. Elle a remporté plusieurs récompenses pour ses travaux, dont le prix Pixel-Image d'Imagina en 1991.

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Put online : June 2017. Last verified: June 25th, 2017