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Réalisée par Char Davies avec des outils de Softimage, Osmose est une installation interactive de réalité virtuelle fort impressionnante. Ce n'est pas tellement l'expérience dela réalité virtuelle qui retient mon attention ici, mais plutôt l'atmosphère mystique qui se rattache à l'expérience même. ll y a une sorte d'atmosphère initiatique qui s'impose avant même de plonger dans l'univers virtuel. D'abord on est introduit, seul, dans une petite chambre à côté de la salle d'exposition, où un technicien-guide nous prend en charge. On a tellement entendu parler de cette réalite virtuel, on a des attentes, il y a eu des promesses, on est sceptique, comme toujours. Puis voilà que notre technicien-guide nous équipe des instruments nécessaires au voyage, le visiocasque, le costume de données ; c'est lourd et pas très confortable. On se sert une ceinture autour de l'abdomen, ceinture qui servira aux déplacements verticaux et dont le contrôle se fait par l'inspiration. Le technicien-guide explique les mouvements possibles : penché en avant, on avance, en arrière, on recule ; ça va de soi, c'est intuitif. Puis l'écran stéréoscopique du visiocasque s'allume : ça y est, on est plongé dans un autre espace.

D'abord, c'est un espace cartésien quadrillé, un infini géométrique, et puis lentement l'image commence à prendre forme autour de nous. Une clairière avec un arbre au centre, un chêne. On avance, on recule, on inspire, on monte, on expire, on descend. Descente dans un étang ; on est dans l'eau, on descend encore plus et on touche au fond un océan de code informatique, le même code qui structure le monde dans lequel on est immergé. On inspire profondément et on monte en flèche, dans l'arbre. Il y a là une feuille dont les nenvures deviennent un tunnel dans lequel on peut voyager. On continue l'ascension vers la cîme de l'arbre où soudain on aperçoit des brins de poèmes qui flottent dans le ciel. En haut comme en bas du langage, et entre les deux extrémités de ce monde, la nature est érigée en temple, en temple digital.

Char Davies Osmose (1995).
Arbre Etant, capture d'image en temps réel par le biais du visiocasque de l'environnement virtuel immersif.

C'est une expérience fascinante qui émerveille par la profondeur dela simulation en trois dimensions et sa capacité à nous projeter entièrement dans ce monde. En sortant de la petite salle obscure, on subit une sorte de choc ontologique; c'est notre notion de l`être qui est ébranlée par l'expérience. On a vraiment l'impression d'avoir été ailleurs, d'avoir visité un autre espace, virtuel certes, mais avec des effets très réels. Mes expériences antérieures en réalité virtuelle se limitaient à celles très peu convaincantes des jeux d'arcades. Osmose mérite vraiment le nom de réalité virtuelle, tant on a l'impression d'habiter un espace autre. L`illusion est presque parfaite.

Pourtant, en réfléchissant au monde dans lequel on vient de se promener, on se rend compte a quel point le propos relève du paradoxe. Contrairement à la plupart des réalisations en réalité virtuelle, Osmose ne se réfère pas à des images techno-futuristes mais à des images d'une nature sereine, d'une nature symbolique. On est baigné dans un monde tranquille, pur, reposant, édénique, un monde qui nous invite à contempler la « nature » de façon mystique. ll est vrai qu on éprouve une certaine tranquillité dans cette forêt, mais en même temps on ne peut oublier que tout le fantastique de cette illusion reside dans la prouesse technique hautement sophistiquée qui la rend possible.

Ce retour au paradis perdu parle biais de la réalité virtuelle est une sorte de quête d'un fond non existant, d'une transcendance semblable à celle énoncée dans le discours de Mark Pesce. Un retour au paradis perdu en prenant la fuite en avant de la réalité virtuelle, c'est finalement cela qui est proposé dans le monde d'Osmose. Cest une image mystique où tout est symbole d'un ordre primordial. L'arbre au centre de ce monde désigne un espace sacré qui détermine le rapport de tous les autres mondes. Les deux langages aux deux extrémités verticales sont comme une intelligence transcendante qui est à l'origine et à la fin de ce monde. C'est encore de la métaphysique techno-mystique qui masque, par un appel à un sacré mal fondé, la véritable nature de la désorientation profonde dans laquelle les nouvelles technologies du virtuel nous plongent. Le jardin à découvrir est tout entier dans la machine, jardin dont on refuse justement de faire la cartographie en l'ancrant dans le simulacre d'un paradis perdu. Cette pensée techno-mystique ouvre la porte à un dangereux abandon du réel par une élite qui se retire définitivement dans un ailleurs dont les contours sont encore difficiles à cerner. Il faut faire appel à une géographie de vitruel.


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Last verified: September 18th 2013.